so:text
|
Le plus étrange, à nos yeux, est le statut que M. Henry fait à la pensée. Il la dévalorise par rapport à la sensation ; pourtant, d'après lui, la réalité de la sensation elle-même lui vient de ce qu'elle est consciemment vécue (ou immanente), et non de ce qu'elle est intentionnelle (ou de ce qu'elle porte sur un objet transcendant). Mais pourquoi l'activité intentionnelle de la pensée, le « mouvement » de la pensée, ne participeraient-ils pas, au même titre que le mouvement de la sensibilité, à la réalité de l'ego ? Ne peut-on dire que l'objet pensé « résiste » au mouvement de la pensée, comme l'objet senti résiste à l'effort corporel ? -- Mais il y a plus grave. D'après l'auteur, la pensée est, si l'on peut dire, intentionnalité pure ; elle se meut dans l'extériorité ; « le monisme ontologique est la théorie de la pensée » (EM, p. 485) ; l'intériorité lui est absolument étrangère. Aussi la pensée ne peut-elle en aucune façon ni souligner, ni ratifier, ni corriger, ni éclairer, ni modifier, ni définir, ni contredire, la vérité originaire qu'est l'ego ; toute interprétation de l'ego par la pensée, tout commentaire, est inutile ; ce serait un vain bavardage (Cfr EM, p. 689). Dans ces conditions, on se demande avec quelque angoisse ce que signifient les douze cents pages qui forment l'œuvre de M. Henry : ne sont-elles pas le fruit d'une « pensée », ne visent-elles pas à « élucider » l'ego, en l'introduisant dans un tout nouvel « horizon » de lumière ? (fr) |