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Devant moi -- j'avais dû m'endormir pour ne pas l'avoir aperçue plus tôt -- se tenait une fillette de trois ou quatre ans, une robe blanche qui s'évasait sur les genoux donnait à sa silhouette immobile la grâce d'une forme issue tout droit d'un caprice de la vie. A travers l'ombre, je distinguai peu à peu des traits charmants qui étaient à la fois ceux d'une enfant et d'une femme. De grands yeux noirs me considéraient sagement, mais je remarquai surtout sa bouche qui remuait doucement comme si elle parlait sans que j'entende ses paroles ou comme si elle esquissait seulement des sons dont le sens ne me parviendrait que plus tard. C'est de cette façon, devait me dire Nadejda, qu'Ossip composait ses poèmes. Tandis qu'il allait et venait dans la pièce, le regard fixe, étranger soudain à ce qui l'entourait, ses lèvres commençaient à frémir, se contractaient, se déformaient, s'agitaient, composaient le découpage phonétique et les grandes divisions d'un chant dont les phrases ne surgissaient qu'à la fin, comme, sur la houle de l'océan, la lumière jette tout d'un coup les éclairs dispersés de son reflet d'or. Et moi aussi je voulais parler à cette fillette, du fond de mon être montait le mouvement qui me portait vers elle, mais je n'avais pas de mots pour ce qui se levait en moi et restais là sans rien faire d'autre que la regarder comme elle me regardait moi-même. Je ne pus m'empêcher de lui sourire et, à travers la nuit qui emplissait maintenant la petite cour, je crus voir aussi son sourire. Par un carré de lumière perché haut dans le ciel comme un fanal de navire, une forme se pencha, appela l'enfant, dont j'appris le nom. Quelque chose changea sur le visage de la fillette, qui s'éloigna lentement. (fr) |