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« Nous voguions avec un bon vent, espérant que le lendemain nous arriverions en Espagne ; mais, soit que la fortune fut lasse de favoriser nos desseins, soit que la malédiction d’un père ne soit jamais prononcée en vain, au milieu de la nuit, presque sur nos côtes, au moment où notre voile enflée nous épargnait le travail de ramer, nous nous rencontrâmes si près d’un vaisseau que nous pensâmes nous briser sur lui. Un mouvement qu’il fit nous sauva ; aussitôt plusieurs voix se firent entendre de ce vaisseau, et nous demandèrent en français qui nous étions, où nous allions. Le renégat, voyant que c’était des Français, ne voulut pas qu’on répondit. Nous passâmes dans un profond silence ; et nous nous croyions sauvés, quand deux canons, tirés à la fois, nous envoyèrent des boulets ramés qui coupèrent notre mât et firent à la barque une telle voie d’eau que nous la sentîmes couler bas. Nous poussons alors de grands cris en demandant du secours ; douze Français, armés d’arquebuses, vinrent à nous dans leur chaloupe, nous prirent, nous emmenèrent avec eux, en nous disant qu’ils corrigeaient ainsi le défaut de politesse.
« Conduits dans le vaisseau français, on prit tout ce que nous avions : les bracelets, les pierreries, les richesses de Zoraïde devinrent la proie des pirates. Après avoir tenu conseil sur ce qu’on ferait de nous, le capitaine, touché de compassion pour la jeunesse, pour la beauté de la chère Zoraïde, lui donna quarante écus d’or, nous abandonna son esquif avec quelques provisions et nous permit de gagner l’Espagne. Nous en étions peu éloignés ; nous y débarquâmes bientôt. Ce seul moment nous fit oublier tous nos périls, tous nos maux passés. Nous nous élançâmes sur le rivage, nous baisâmes cette terre chérie en la baignant de larmes de joie et, tendant les bras vers le ciel, nous le remerciâmes de ses bienfaits. (fr) |