so:text
|
Accueilli dès sa parution comme un grand livre, admiré de ses juges, l'ouvrage de Michel Henry, L'Essence de la Manifestation reste, dix ans après, le chef-d’œuvre inconnu. On ne s'explique que trop bien, hélas, cette désaffection. Sa rigueur et son abstraction, comme un rempart protecteur, écartent le lecteur insuffisamment armé, décourageant le simple curieux ou l'amateur pressé. En outre il est indifférent au succès et aux modes, il ne se rattache à aucune école patentée, il n'appartient à aucun mouvement en vogue. Il représente le labeur pathétique et solitaire de longues années, de nuits insomnieuses, une sorte de lutte de Jacob, dont la blessure reste invisible au matin de l'écriture, mais qui se trahit dans la démarche : il faut nous accoutumer, en effet, à ses lents circuits, à son insistance redondante, aux reprises obsédantes et aux méandres interminables, au piétinement aussi des tautologies et des pléonasmes ; tout cela, que scandent par instants des éclairs frémissants comme des flèches, fait partie de l'effort et de la méthode. Enfin l'ouvrage se meut dans la contrée aride, peu familière, de la philosophie première. Avec ce pays désertique de l'être aussi, l'accoutumance est nécessaire, tant le parcours auquel nous sommes conviés exige de persévérance et d'attention. (fr) |